De quelle laïcité parle-t-on ?
Avant tout, ne souffrons-nous pas de lacunes historiques, qui, comblées, permettraient de sortir de la confusion dans laquelle dits médiatiques et politiques nous plongent ? Le maître d’Albert Camus, Louis Germain, lui écrit en 1959 que son père se fit mettre à la porte de l’école Normale d’Alger parce que, agacé d’être obligé d’aller à la messe et de communier chaque dimanche, il avait glissé l’hostie dans son livre de messe. Pourtant, l’école du père de Louis Germain venait des lois de Jules Ferry. Dans la même lettre, lui qui est si attaché à la liberté de conscience de l’enfant, écrit :
"Je vous ai tous aimés et crois avoir fait tout mon possible pour ne pas manifester mes idées et peser ainsi sur votre jeune intelligence. Lorsqu’il était question de Dieu (c’est dans le programme), je disais que certains y croyaient, d’autres non. Et que dans la plénitude de ses droits, chacun faisait ce qu’il voulait. De même, pour le chapitre des religions, je me bornais à indiquer celles qui existaient, auxquelles appartenaient ceux à qui cela plaisait. Pour être vrai, j’ajoutais qu’il y avait des personnes ne pratiquant aucune religion."
Dans le roman Le premier homme, où figure en annexe la lettre de Louis Germain, Camus adulte parle ainsi du maître qui l’avait accompagné parfois au-delà des heures de classe : "C'était lui qui avait jeté Jacques dans le monde, prenant tout seul la responsabilité de le déraciner pour qu'il aille vers de plus grandes découvertes encore."1
Étonnement donc, de tous ceux qui peuvent croire que les hussards n’avaient jamais enseigné le fait religieux, dans cette école dont la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 avait jeté les bases laïques, et dont le principe est inscrit ensuite dans la Constitution de 1946, repris en 1958 : la République est laïque, tout comme l’enseignement qui est un devoir de l’État.
Pour éclairer le débat actuel, nous nous inspirons de ce que Jean Baubérot dit "des" laïcités françaises, montrant qu’il n’existe pas "un modèle unique de laïcité", et expliquant que la laïcité fait l’objet de représentations différentes selon les acteurs ou groupes.2
Une première représentation-type, selon Jean Baubérot, considère la religion comme "oppression des consciences, et la laïcité, pensée dans cette perspective est comprise comme "complète sécularisation", aboutissant à un combat contre les religions. Dans ce cas, tout engagement religieux est considéré comme anti-laïque, en opposition absolue, donc, avec la notion de liberté de conscience qui, elle, reconnaît à chacun le droit d’adopter la confession "qu’il veut", comme le dit Louis Germain.
Une seconde représentation, que Jean Baubérot appelle "gallicane et autoritaire", concerne h...