Je suis un rêve
On sait que les œuvres écrites par Pierre Gripari pour les enfants ne sont que la pointe émergée d’un iceberg dont la base git au fond d’une mer tumultueuse, pour ne pas dire ambiguë. Mais qu’importe ici, car les textes que font vivre les auteurs du spectacle, Damien Bricoteaux, Mathieu Morelle et Lucie Joliot, révèlent son goût de la langue, son plaisir de la traque d’un mot, d’un objet ou d’un être jusque dans leurs plus intimes retranchements et celui des histoires travesties ou détournées. L’espace scénique où s’exprime cette joie textuelle est dépouillé, et pour cette raison efficace : au milieu de la scène, un cadre rectangulaire en métal aura diverses fonctions durant le spectacle, à sa droite une table sur laquelle l’écrivain a posé ses feuilles vierges et sa machine à écrire (mort en 1990, Gripari n’aura pas connu le traitement de texte, sans doute aurait-il su en rire). Seule fantaisie sur cette scène austère, des parapluies colorés ou non, accrochés à un porte-manteau, deviennent justement les atours des personnages qu’ils caractérisent avec justesse et humour. La courte biographie gauloise et médiévale de Gripari donne le ton de ce qui va suivre, et d’entrée de jeu les enfants s’amusent de l’acteur à plat ventre qu’un jeu d’illusion dote de jambes immenses.
La façon de coudre les extraits entre eux est maline ; souvent la couture est imperceptible, ainsi du passage de la biographie à « l’histoire d’une histoire », puisque l’auteur n’a d’existence qu’en traçant le chemin de celle-ci. L’histoire, qui sautille avec son parapluie (légèreté de Mathieu Morelle) tente de se faire écrire, mais l’auteur (Damien Bricoteaux en double de Gripari) est d’abord fatigué, paresseux ou indifférent. La suite n’est pas L’histoire du Prince Pipo, de Pipo le cheval et de la Princesse Popi, mais celle, habilement présentée, de Pouic et la Merlette. Le jeune Pouic n’aime pas l’école, et sa maîtresse un peu sorcière, pour le convaincre qu’il n’y a rien de mieux que d’apprendre, le transforme en merle, paradigme de la liberté selon l’enfant. Cette liberté a des revers insupportables, les exigences nidificatrices de deux merlettes dont, successivement, il pense pouvoir partager la vie. Les parapluies se font coquets, et pour la seconde merlette, une coquetterie appauvrie. La leçon est double : les auteurs du spectacle ont surtout insisté sur le côté gratifiant de l’école, mais ils n’ont pas oublié les adultes qui verront là une critique de la lourdeur ménagère. D’autres encore y verront un machisme que l’humour tempère (Gripari, lui, parlait de guerre des sexes). Mais les enfants sont reconduits sagement vers le lieu assigné à leur enfance, l’école, dont ils apprécient alors les bienfaits. Et les auteurs du spectacle d’enchaîner avec la s...