"Abandonnons l’idéologie de l’égalité des chances", Philippe Meirieu
Professeurs titulaires... contractuels... pénurie d'enseignants dans certaines académies... recrutements par job dating... Que pensez-vous du climat actuel autour des professeurs ?
Philippe Meirieu : Comment ne pas s’inquiéter de voir notre société largement incapable aujourd’hui d’attirer les jeunes générations vers les métiers de l’éducation ? C’est, à mes yeux, un phénomène particulièrement grave et le signe que nous sommes en train de compromettre notre avenir commun. Il est essentiel et urgent de réagir collectivement ! Par une revalorisation financière évidemment, mais aussi par une meilleure reconnaissance sociale. Les enseignants se sentent, en effet, fragilisés face à des parents perçus parfois comme intrusifs, voire agressifs. Ils se sentent méprisés par une hiérarchie dont les injonctions successives et souvent contradictoires les réduisent à de simples exécutants de protocoles standardisés. Beaucoup d’entre eux font face à des élèves qu’on a laissé abuser des écrans et qui peinent à soutenir leur attention. Tous constatent que les valeurs dominantes des médias que sont la dérision et la démagogie, l’exaltation de la pulsion et de la consommation, sont complètement contraires aux valeurs qu’ils sont chargés de transmettre : le respect d’autrui et la réflexivité, l’exigence de précision, de justesse et de vérité, la coopération et la solidarité. Et l’inquiétude monte, enfin, chez les enseignants face aux songeries technocratiques d’une école connectée où les professeurs seraient ravalés à de simples auxiliaires des machines… Comment, s’étonner, dans ces conditions, que le métier n’attire plus, que les démissions augmentent et qu’on peine à recruter ? Il y a là un chantier fondamental sur lequel la société tout entière doit se mettre au travail. Au risque, sinon, de voir notre système scolaire exploser et la citoyenneté qu’on exalte partout devenir une coquille vide.
Quels sont les défis actuels de l'école, selon vous ?
PM : Ils sont nombreux mais celui de la justice et de l’égalité réelle est, à mes yeux, prioritaire. Abandonnons l’idéologie de l’égalité des chances : on ne peut pas mettre artificiellement tous les élèves sur la même ligne de départ et affirmer hypocritement que tout le monde peut gagner la course. L’enjeu n’est pas celui d’une illusoire égalité des chances, c’est celui d’une véritable égalité du droit d’accès pour toutes et tous à l’éducation. Et cette égalité suppose de revenir obstinément au principe qui avait présidé à la création de l’éducation prioritaire : "Donner plus et mieux à ceux qui ont moins". Or, nous en sommes loin : un élève de classe préparatoire coûte beaucoup plus cher à la collectivité qu’un collégien de banlieue ! Et un collégien de banlieue va...