Jusqu’à la retraite… si possible
Malgré des conditions de travail dégradées et une pression sociale qui s’accentue, les enseignants continuent d’aimer faire leur métier. Mais qu’en sera-t-il dans quelques années ? Près d’un tiers des enseignants se disent prêts à rester prof jusqu’à la retraite, quoiqu’il en coûte. « Oui, même si cela devient de plus en plus compliqué », répond Sandra, en école primaire. 40% des enseignants de lycées privés répondent : « oui, c’est ma passion », le plus haut score de tous les répondants. En additionnant les réponses « c’est ma passion » et « je n’ai pas le choix, je suis bientôt à la retraite », ce sont 63% d’entre eux qui entendent demeurer devant une classe.
En revanche, Alice, entre 11 et 20 ans d’enseignement en lycée, avoue n’être « pas sûre de pouvoir dépenser une telle énergie à partir d’un certain âge. » Elle n’est pas la seule. Près d’un quart des répondants (24%) ont répondu qu’ils étaient certains de quitter le métier avant la retraite. 32% des enseignants en REP et 27% des enseignants en école primaire (le même pourcentage pour le public et le privé) pensent devoir arrêter par fatigue ou manque d’énergie/envie, avant leur retraite. L’usure, la fatigue mentale ou encore le manque de reconnaissance sont autant de raisons pour se reconvertir. Cependant, « à quelques années de la retraite », ou bien « faute d’autre formation », une partie des enseignants se voient rester devant une classe jusqu’à leurs 64 ans, ou plus tard.
Au hasard des réponses reçues : « C’est de plus en plus compliqué de se faire respecter par les élèves et les parents », estime Karine, en école primaire. « Ce métier nécessite beaucoup d'énergie. Je pense qu'à partir d'un certain âge cela devient compliqué d'enseigner correctement [et il n'y a] pas d'évolution du métier [ni] de reconnaissance de l'expérience », souligne Maud, enseignante en lycée depuis moins de cinq ans.
Une école sans enseignants ?
Quant à la question sur l’avenir de l’école, elle laisse perplexe les enseignants. Se projeter dans plusieurs années quand on ne sait pas de quoi sera fait la profession dans cinq ans est « mission impossible », estime plus d’un quart des répondants. Ceux qui se prêtent à cet exercice voient principalement une évolution autour du tout numérique… ou presque. Comme une projection de l’évolution actuelle. Une tendance majeure vers plus de distanciel, de technologie, voire un métier gouverné par l’intelligence artificielle, semble évidente pour certains d’entre eux.
Ce sont les enseignants des écoles primaires privées (49%) qui placent en tête une transformation numérique extrême de l’école, devant leurs collègues des lycées privées (42%) et des collèges privés (41%).
Les craintes d’un cantonnement du métier à une simple garderie (surtout pour les enseignants de l’école primaire) ou d’une école à deux vitesses, transparaissent également dans les réponses. Parmi les 25% envisageant cette évolution, les enseignants de REP+ et de REP sont les plus pessimistes. Respectivement, 35% et 31% d’entre eux estiment qu’il aura disparu ou se sera fortement dégradé.
Un léger vent d’optimisme vient des enseignants de collège public dont 13% (contre 8% en moyenne) considèrent que leur métier se sera adapté ou sera toujours centré sur la transmission humaine.
Les enseignants ayant entre 6 et 10 ans d’ancienneté figurent aussi parmi les plus optimistes. 28% d’entre eux (contre 8% en moyenne) disent que le métier sera proche de la manière de l’exercer actuellement et espèrent qu’il sera mieux considéré. « La base sera la même, il y aura toujours la transmission mais avec des moyens plus innovants », souligne Aline, professeure en lycée depuis plus de vingt ans.
Et pourquoi ne pas projeter une école plus accueillante dans cent ans ? « J’espère un métier apaisé, reconnu et qui donne envie », souhaite une enseignante de collège, avec moins de cinq ans d’expérience. « Elle sera plus performante pour accompagner les élèves en difficulté et enrichie par les expériences de chacun », écrit Joëlle, en école primaire.
Un message pour un.e futur.e enseignant.e ?
Des encouragements. Loin de leur conseiller de fuir ce métier, quatre professeurs sur cinq suggèrent à leurs futurs collègues de s’écouter et d’y croire. C’est « un métier ou beaucoup d'enfants comptent sur vous, et où beaucoup de parents veulent que vous fassiez le travail d'éducation qu'ils n'ont pas fait. Il faut du caractère et de la diplomatie pour ne pas se faire manger », estime Aurélie, enseignante en collège.
Conseil précis de la part de Typhaine, en collège également : « Ayez un bureau dans une pièce dédiée dans votre maison pour que votre métier n'envahisse pas votre vie privée. Sinon, ça reste un très beau métier. Si on est généreux et motivé, nos élèves nous le rendent bien. »
Avant toute chose, ne pas hésiter à se poser quelques questions, lance Émilie, en école primaire : « Es-tu bien sure de toi ? Pas de reconnaissance, pas d’aides, pas payé, pour avoir les parents sur le dos si son enfant ne veut pas travailler ou lui autoriser à mal nous parler ? Réfléchis bien. » Anne, en collège, prévient que « les premières années sont dures, mais au bout de trois ans, on commence à être plus autonome et tester de nouvelles techniques qui nous définirons dans notre enseignement. Nous avons une liberté pédagogique qui nous permet d'avancer et ne pas trop se répéter, tout en restant dans les normes bien sûr. »
Les enseignants ayant moins de 5 ans d’expérience sont seulement 3% à conseiller à leurs futurs pairs de fuir, contre 10% des plus de 20 ans d’expérience. Un chiffre qui n’est pas non plus décroché de la moyenne (8%). Ce faible taux de réponses négatives témoigne sans aucun doute de la passion qui anime encore les plus expérimentés, malgré des conditions de travail dégradées et une non-reconnaissance perçue de la part de l’Institution.
Avec plus de vingt ans d’expérience, Catherine, une enseignante en école primaire, dessine ce que pourrait être une carrière. « Garder foi dans les qualités des enfants. Garder une relation professionnelle avec les parents. Faire de son mieux. Être bienveillant. Ne pas se laisser abattre par des remarques désobligeantes mais s'en servir pour progresser (après le temps d'abattement nécessaire, je le conçois). Donner du sens aux apprentissages. »