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Après le tremblement de terre

Après le tremblement de terre
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Si la ville de Kobé ne porte plus trace de l’effroyable tremblement de terre qui l’anéantit en 1995, la mémoire de nombreux Japonais demeure hantée par la catastrophe, réalité vécue devenue métaphore du chaos du monde. Le Collectif Quatre Ailes a choisi de reprendre l’adaptation par Frank Galati de deux nouvelles de Murakami, pour donner aux spectateurs, jeunes et moins jeunes, l’occasion de voir la puissance des récits apportant forme et sens à l’impensable.

Le public est accueilli par un homme qui court de longues minutes sur un tapis de course, référence à l’auteur Haruki Murakami qui pense le marathon comme une façon d’échapper à son corps. Lorsque le noir se fait, cet homme s’assied derrière un bureau, tourne les pages d’un cahier dont les écrits et les dessins sont projetés sur le mur derrière lui : dix-neuf séquences vont alors transporter le spectateur dans un monde où se mêlent les temporalités et les faits qu’elles déploient, à la limite du fantastique. Cet homme est le narrateur, celui qui commente l’action et introduit les spectateurs à l’étrange récit raconté par Junpei, l’auteur d’histoires dont la petite Sala a besoin pour échapper à l’angoisse de la nuit et à ses cauchemars. Sala apparaît comme une héroïne de manga dans l’encadrement de la porte de sa chambre, ou, ailleurs, comme une marionnette numérique : elle est la fille de Sayoko et de Takatsuki. Sayoko, Takatsuki et Junpei formaient un trio d’étudiants en littérature, les deux premiers par passion, Takatsuki par opportunisme. Une histoire d’amour et d’amitié avait uni les trois personnages, et l’on apprend que Takatsuki épouse Sayoko alors que Junpei l’aime sans oser se déclarer. Cette histoire se superpose à celles que racontent Junpei pour que Sala s’endorme, celle de l’ours Masakichi d’abord, puis de la grenouille superman, ou Superfrog, intervenant pour sauver Tokyo d’un tremblement de terre semblable à celui de Kobé. Les images télévisuelles du séisme ont à ce point choqué la fillette qu’elle ne peut plus s’endormir. L’histoire de la grenouille survient à point nommé pour amener la résilience. Superfrog (joué par l’acteur qui figure Junpei) vient demander de l’aide à Monsieur Katagiri (joué par Takatsuki), au prétexte que l’épicentre du séisme se trouve à Shinjuku, précisément sur le lieu de la banque où il travaille : un immense lombric travaille sous terre à détruire Tokyo, dont seule la grenouille peut venir à bout. Mais elle ne peut rien seule.

Il n’y a pas que les histoires qui s’entremêlent dans cette adaptation. Véritable antre narratif, la scène est plurielle et le passage est allègre d’un univers de récit à l’autre, par le biais des surfaces qui renvoient chacune à un temps et à une histoire. La cuisine de Sayoko est l’appartement de Katagiri où Superfrog déploie ses pattes immenses en vidéo, avec une danse dont le comédien, à la fois Junpei et Superfrog, se fait l’élégant écho. Le placard de la cuisine est ville, fenêtre, route ou voiture, le mur derrière le bureau renvoie aux images du désastre ou aux dessins du narrateur, par le jeu d’une table lumineuse que règle son imagination. La prouesse technique n’est pas seulement l’accessoire virtuose du spectacle, elle conduit la narration vers ses développements i...

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