Les trois torpilles russes qui détruisirent le Wilhelm Gustloff le 30 janvier 1945 firent davantage de victimes que l’iceberg du Titanic. Pourtant, cet épisode de la fin de la Deuxième Guerre mondiale demeure largement méconnu. Le récit qu’en fait Ruta Sepetys, à travers les voix de quatre personnages, est tendu, souvent bouleversant, et toujours riche d’une humanité grave et attentive, même lorsqu’il décrit les caractères les moins positifs. L’épaisseur du volume ne doit pas faire peur, car les chapitres sont brefs (chacun porté par les voix de Joana, Florian, Emilia ou Alfred), invitant à une gymnastique de lecture bien propre à exercer la mémoire de la narration et de ses enchaînements.
Les quatre premiers chapitres dessinent d’emblée les caractères des principaux personnages : on entend d’abord la voix posée, pleine de souffrance et de culpabilité de Joana la Lituanienne, puis celle de Florian le Prussien que son caractère complexe rend attachant, celle d’Emilia, jeune Polonaise victime à plus d’un titre, et celle d’Alfred, souvent insupportable mais témoignant des ravages de l’idéologie sur les âmes fragiles. Se dessine alors rapidement la structure du récit : on sent que ces voix appartiennent à des personnes qui vont finir par cheminer ensemble, et l’on s’attend à cette rencontre - Alfred étant le dernier à se joindre au groupe, lorsque tous vont s’embarquer à bord du Wilhelm Gustloff. Chaque personnage est porteur d’une histoire qui donne une touche particulière à ses relations avec les autres ; il est intéressant de voir que chaque lecteur, fille ou garçon, trouvera celui auquel il peut s’identifier. Il est assez légitime que le personnage de Joana soit le plus attachant, car il porte sans doute les émotions de l’auteur. Pour n’avoir pas vécu elle-même les souffrances de la guerre, Ruta Sepetys témoigne pour son père, réfugié lituanien, et pour les milliers de sans voix qui ont péri lors du naufrage. C’est surtout le personnage de Joana, dans une moindre mesure ceux d’Emilia et de Florian, qui fait exister et parler les autres protagonistes du récit, ces réfugiés avançant péniblement dans le froid de cet hiver 1945 pour échapper à l’avancée de l’Armée rouge : il y a la belle figure du vieux Poète cordonnier qui prend sous son aile bienveillante Klaus le Petit Garçon Perdu, Eva, une grande femme égoïste et désabusée, qui semble incarner la part médiocre de notre humanité, Ingrid, la jeune aveugle qui se sacrifie sur la glace pour permettre aux autres de passer en sûreté. La plupart d’entre eux parviennent à Gotenhafen (Gdynia en polonais, dans la baie de Gdansk) à la moitié du roman, mais les difficultés sont loin d’être achevées, car il faut trouver le moyen de s’embarquer. C’est à ce moment là que le matelot Alfred rejoint la cohor...
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