André Giordan : Une autre culture de l’école
L’École Aujourd’hui : Quel intérêt pour les apprentissages d’établir des ponts entre les disciplines ?
André Giordan : Le but est la recherche d’une cohérence intellectuelle entre les savoirs. Dès 1986, Louis Legrand1, grand pédagogue trop oublié, y trouvait un intérêt pour : harmoniser les cursus des différentes disciplines en permettant aux disciplines instrumentales de jouer à temps et pleinement leur rôle ; agir sur les prérequis des apprentissages disciplinaires ; couvrir des objectifs généraux non couverts par les disciplines ; créer des situations d’apprentissage aptes à motiver les élèves pour les tâches scolaires. Par exemple, une approche en natation donnera du sens en mathématiques (mesure, volume), physique (flottabilité, résistance), biologie (respiration, locomotion), histoire (d’un sport, des loisirs) et français (écrire). Tous ces savoirs mis en lien éviteront fragmentations ou redondances. Actuellement, beaucoup d’élèves apprennent à lire sur des textes artificiels, alors qu’un texte de sciences ou d’histoire serait plus attractif. De plus, nos enfants sont submergés de flots d’informations par les médias. Ils en acquièrent un savoir en miettes qui ne fait pas sens, ni culture… Dans le socle commun, il faudrait introduire des “savoirs organisateurs”mettant en réseau les diverses notions et leur donnant sens. Un individu, un organe, une cellule, une association, une entreprise sont des “organisations”. Or, toute organisation possède des caractéristiques communes : interactions entre éléments, émergence de propriétés, régulation, mémoire, identité.
A contrario, le décloisonnement risque-t-il d’entraîner un manque de rigueur dans les acquisitions ?
A. G. : Certes, chaque discipline est un regard spécifique et une approche singulière sur un domaine. Je n’ai pour cela jamais été partisan de les supprimer totalement. Mais dans une société complexe, il faut apprendre aussi aux enfants à faire des liens, et il est indispensable d’introduire de nouvelles disciplines. On ne peut en rester aux contenus de l’école de la fin du xixe siècle. Je continue à proposer de mettre au programme une démarche nouvelle pour l’école2 : l’analyse systémique. Elle diminue les risques d’incohérence ou de manque de rigueur, oblige à mettre en lien, et fait émerger un sens souvent caché. De plus, c’est devenu une nécessité si on veut arrêter de faire des élèves analphabètes sur les réalités qui les entourent.
Malgré la polyvalence en primaire, les apprentissages restent cloisonnés.
A. G. : Ce dysfonctionnement vient du recrutement des professeurs, encore renforcé depuis l’entrée au niveau master. Les universités restant...