L’enfant et la durée
Qu’est-ce que le temps pour un jeune enfant ?
Sylvie Droit-Volet, John Wearden : Dès que l’on parle de temps, il est nécessaire de définir cette notion et cela n’est pas si simple qu’il y parait. Il est habituel de représenter le temps sous la forme d’une flèche représentant le lien étroit entre temps, espace et mouvement. Les travaux expérimentaux de Jean Piaget sur le développement de la notion de temps étaient fondés sur ce type de conception du temps. Dans ses expériences, il demandait aux enfants de juger les durées de déplacement de deux mobiles qui se déplaçaient à des vitesses différentes. À l’heure actuelle, en psychologie, dès qu’on parle du temps et de l’enfant, on est obligé de considérer différents types de temps. Or, chaque type de temps implique des mécanismes psychologiques spécifiques. Par exemple, on parle d’un mécanisme d’horloge interne pour la perception prospective du temps. En revanche, pour l’estimation du temps rétrospectif, quand le sujet doit se rappeler la durée d’un événement passé, on évoque plus des mécanismes de mémoire, la durée pouvant être reconstruite sur des informations non temporelles, comme le nombre de changements perçus.
Ceci est-il perceptible dès la naissance ?
S. D.-V., J. W. : Dès sa naissance, l’enfant est sensible à la durée des événements et/ou des intervalles temporels entre les événements dont il fait l’expérience. Le cerveau est en effet prédisposé à traiter le temps : le flux dynamique des événements et des actions. Une expérience que j’ai [SDV, ndlr] récemment menée montre que le bébé, dès ses premiers mois, est capable de discriminer différentes durées. Dans cette expérience, on a montré que le bébé est capable d’apprendre l’association entre la durée d’un son et l’apparition d’une image à gauche ou à droite d’un écran d’ordinateur (court/gauche, long/droit). Après quelques essais, dès qu’il entend une durée courte, le bébé tourne alors la tête à gauche s’attendant à voir l’image apparaître à cet endroit et inversement. Le bébé est donc capable d’apprendre les durées des événements et de détecter des changements temporels. Cependant, malgré ce "sens primaire" du temps, les capacités d’estimation du temps s’améliorent avec l’âge, avec notamment les capacités d’attention. En effet, jusqu’à l’âge de 6 ans, les enfants sont très variables dans leurs estimations du temps. Ils sont trop distraits, trop impulsifs pour toujours réussir à estimer correctement le temps ou à attendre un certain temps, quelle que soit la situation. C’est pour cette raison que, dans certaines conditions, les consignes temporelles données par les parents ("Attends ! Encore 2 minutes !…") jouent un rôle important pour les conduites...