Jean-Pierre Terrail : La maternelle et l’échec scolaire
Une préscolarisation à plusieurs visages
Repérage des handicaps et systématisation des évaluations ; développement des habiletés langagières et manuelles jugées nécessaires à l’entrée dans le lire-écrire ; multiplication des exercices sur fiches en ateliers visant un entraînement cognitif à dimension de plus en plus réflexive ; introduction d’activités proprement scolaires d’ordre lectural et scripturaire… Toutes ces évolutions des trois ou quatre dernières décennies ont marqué le souci de mobiliser la maternelle au service de la lutte contre l’échec scolaire. La logique de la compétition scolaire, du même coup, s’est glissée par la porte entrebâillée. Certes, il n’est pas question ici de la notation qui lui donne toute son opérativité dans les étages supérieurs du système éducatif. Mais la relative mise en continuité maternelle/ élémentaire, via la restructuration des cycles, les évaluations et la scolarisation des contenus, n’en a pas moins des retombées connexes non négligeables. Les enfants se forgent précocement une identité d’élève “bon” ou moins bon, et commencent à intérioriser l’idée que l’école est un champ d’épreuves où l’important, autant que d’apprendre, est de faire aussi bien ou mieux que ses pairs. Le processus se joue en miroir avec les enseignants, qui eux aussi distinguent très tôt les “bons” élèves et les élèves en difficulté, et assignent aux intéressés le destin scolaire qui va avec lors de la passation des consignes GS/CP. Avant même l’entrée dans la culture écrite, la valeur scolaire des élèves apparaît ainsi relativement déterminée.
Les limites de l’entreprise
Il y a bien sûr toutes les raisons de penser que la richesse des activités menées à la maternelle développe des ressources de tous ordres qui aideront les enfants à affronter la vie qui les attend. Les enquêtes disponibles montrent cependant que leur impact sur les inégalités scolaires reste très limitées, alors qu’on aurait pu présumer qu’elles contribueraient à les réduire en mettant tous les enfants au contact de richesses culturelles qui seraient restées sans cela l’apanage des milieux les plus favorisés. Ce constat peut s’éclairer de plusieurs façons.
– Les apprentissages du CP sont, eux, tout à fait décisifs pour la suite. Or leur réussite se joue largement dans le moment même de l’apprentissage, et dépend de la façon dont ils sont conçus, organisés, conduits. Tous les enfants entrés normalement dans le langage peuvent en surmonter les difficultés.
– À l’inverse, une scolarisation activement menée à la maternelle ne suffit pas par elle-même à surmonter les difficultés d’apprentissages élémentaires insuffisamment efficaces. Les 25 années, depuis l’accent
mis sur les apprentissages linguistique...