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«La pandémie a agi comme un révélateur et incite à se projeter dans l’école de demain»

Le sociologue François Dubet analyse le révélateur du Covid et se projette dans l'école de demain
(c) François Dubet
Le sociologue François Dubet, grand spécialiste de l’école, de l’institution scolaire et de la marginalité juvénile, fait le bilan des enseignements à tirer de la période du confinement et du post-confinement. Pour lui, la pandémie a agi comme un révélateur à différents niveaux : en matière d’installation du numérique à l’école, de coéducation à faire évoluer, d’inégalités scolaires toujours à corriger et de mise en valeur de la vie scolaire. Cet ex-directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et ancien professeur à l'université Bordeaux-II se projette résolument dans l’école de demain. Il identifie les évolutions potentielles déjà portées par les enseignants et le terrain, tout en faisant la part des incertitudes et des résistances au changement.

Les enseignants interrogés par Lea ont mis en avant une percée de l'usage des outils numériques pendant le confinement, avant même les évolutions dans la relation avec les parents et les innovations pédagogiques. Quelles traces durables cette période va-t-elle selon vous laisser dans les pratiques des enseignants?

C’est très difficile à dire. Tout va dépendre de comment va se passer la rentrée. Chacun a d’abord tendance à revenir à « l’école d’avant » car c’est quand même ce qu’on sait faire. Mais il va y avoir des traces durables. Beaucoup d’enseignants, élèves et parents, parfois en « bricolant » des solutions, ont pris le pli : le numérique fera partie intégrante de l’école. Je crois que la pandémie va permettre de mettre fin au débat et installer ce que les politiques s’efforcent de développer depuis des années. Ceci suppose d’avoir des outils, des supports numériques et des pratiques communes, ce qui pose notamment des questions de cohésion pédagogique dans la maîtrise de ces outils et du personnel dédié, au niveau des établissements. Il y a aussi à terme une conséquence plus difficile à percevoir : dès lors que je peux transférer une partie du travail qui se faisait en classe dans les échanges numériques, il va falloir aussi recomposer le travail en classe et définir les modalités de suivi des élèves à distance par les enseignants. Mais pour l’instant nul ne sait encore exactement comment.

Le développement de la coéducation lors de cette période est évoqué par de nombreux enseignants. Est-ce un phénomène bien réel et durable ?

Il y a bien longtemps en réalité que l’école pratique la coéducation en transférant une partie du travail scolaire sur les familles, ce qui a des effets inégalitaires considérables. Avec, dans le milieu scolaire parfois, une relative hypocrisie qui consiste à faire semblant de croire que ce sont les élèves qui font le travail et pas les parents. « L’avantage » là aussi de la pandémie c’est que cette espèce de zone grise n’est brutalement plus tenable. Tout le monde a été concerné et on voit bien qu’on se heurte à des inégalités sociales et culturelles, voire à des inégalités aléatoires : des familles mobilisées ou pas… La pandémie a ainsi mis au grand jour ce secret de Polichinelle.

Il aura là aussi une transformation potentielle du travail des enseignants. Soit, on renonce à toute coéducation : le travail scolaire s’arrête le soir après la classe. Soit on continue à transférer une grande partie du travail scolaire, en particulier au collège et au lycée, comme cela se pratique ailleurs, par exemple dans de nombreux pays scandinaves et anglo-saxons, ou plus près de nous en Suisse.

Mais ceci supposera de s’intéresser à la disponibilité des familles, à leur é...

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