Quelques repères historiques et géographiques
Petite bulle deviendra grande…
Même si certains historiens considèrent que les peintures rupestres que l’on trouve sur les murs de la grotte de Lascaux correspondent aux premières traces de récits illustrés laissés par l’homme, la majorité des spécialistes s’entendent pour attribuer la paternité de la bande dessinée moderne à l’auteur suisse Rodolphe Töpffer. C’est lui qui, en 1827, est le premier à faire s’imbriquer explicitement le dessin et le texte sur une même page, avec l’intention de raconter une histoire. Voici à l’époque la première définition de son expérimentation narrative qu’il nous livre : "Elle est d’une nature mixte et se compose d’une série de dessins au trait, chacun de ces dessins est accompagné d’une ou deux lignes de texte. Le dessin sans ce texte n’aurait qu’une signification obscure ; le texte sans le dessin ne signifierait rien." Dès ses débuts, le lien entre l’image et le texte est donc omniprésent.
Au cours de la première moitié du XXe siècle, on qualifie ce nouveau support d’expression, d’histoires en images ou de littérature en estampes. On retrouve ces récits publiés essentiellement dans les périodiques, ou illustrés, pour la jeunesse. Ils sont alors utilisés le plus souvent pour véhiculer des messages religieux et moralisateurs. Perçue et conçue au départ comme un outil au service de l’éducation des jeunes lecteurs, la bande dessinée aura beaucoup de mal à se défaire de cette image réductrice et simpliste qui lui colle encore un peu à la peau à notre époque. Ce n’est qu’à partir des années 60 qu’elle va s’exporter vers d’autres supports. Elle va alors rencontrer un autre public, accueillir une nouvelle vague d’auteurs, comme Franquin, Hergé, Peyo, qui vont lui permettre de commencer à écrire sa propre histoire.
Le premier colloque international “Bande dessinée et éducation” se tient en 1977, et avec lui débute les recherches et les publications didactiques. Au cours des années 80, les politiques culturelles menées en France vont favoriser l’entrée de la bande dessinée dans le giron de l’école. Mais à cette époque, de manière quasiment systématique, son usage est réduit à de simples prétextes, tantôt pour servir une méthode de lecture (Boule et Bill), tantôt pour illustrer des exercices d’étude de la langue. Le médium n’est pas encore considéré comme un genre littéraire à part entière.
En 1996, la bande dessinée fait son apparition dans les documents d’accompagnement du collège et en 2002, elle intègre également les listes de référence de l'école primaire. C’est le début de la reconnaissance. Les enseignants commencent à s’approprier ce genre et le considèrent enfin comme un objet d’étude littéraire à part entière.
En 2008, la BD est reliée de manière explicite à l’enseignement de l’histoire des arts, comme un art du visuel. Depuis, au gré des réformes et des programmes qui se succèdent, elle continue de se faire une place de choix sur les bancs de l’école, soutenue par une production de qualité et par des auteurs qui se renouvellent sans cesse.
Une triple identité !
On peut décomposer de manière assez simple le champ de la bande dessinée jeunesse en 3 courants.
- Il y a tout d’abord la BD franco-belge.
Avec sa ligne claire, et son style “gros-nez”, dont sont issues des séries connues de tous comme Astérix, Tintin, Spirou, Le Chat, Boule et Bill, Titeuf ou encore Gaston Lagaffe.
Ces "blockbusters" constituent une grande part du marché de la bande dessinée, mais ils côtoient également des œuvres plus confidentielles, qui bénéficient de tirages moindres et d’une visibilité plus réduite, mais qui se révèlent tout aussi intéressantes. Cette diversité est une réelle chance et il est important de la soutenir. Naturellement, la production éditoriale ne se réduit pas seulement à la France et à la Belgique. Depuis quelques années, on observe un élan créatif qui parcourt tous les pays d’Europe, notamment l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne. La BD franco-belge ne cesse d’évoluer, d'innover et de se renouveler. On parle maintenant de romans graphiques, de BD reportage ou d’investigation et même de carnets de voyage. Polars, science-fiction, fantaisie, humour, aventure, adaptation de romans, documentaires historiques ou expositions scientifiques, la bande dessinée balaie de nombreux thèmes. Cette grande variété lui permet d’aborder des sujets communs et légers, mais aussi plus sérieux ou pédagogiques, et même parfois intimes.
- On distingue ensuite le manga.
Venu d’Asie, il a été inventé par les Japonais et est maintenant largement diffusé en Europe. One Pièce, Dragon Ball, Naruto, Akira, Fairy Tail sont quelques-unes des séries phares qui ont envahi l’espace de lecture des adolescents.
Avec près de 40 % des ventes enregistrées, la France est d’ailleurs le deuxième marché mondial pour le manga, après le Japon. Ces albums entrent directement en concurrence avec les bandes dessinées dites, classiques. Il faut dire que le manga possède de nombreux arguments qui font mouche auprès des jeunes :
- un petit format économique ;
- une logique de série accompagnée par un rythme de parutions élevé ;
- des thèmes proches des préoccupations des lecteurs ;
- une offre pléthorique et de nombreux produits dérivés.
Dans cette grande famille dont les adolescents raffolent, les différentes séries respectent généralement une classification assez stricte. On distingue trois genres :
- les shonen, qui s’adressent à un public de jeunes garçons, entre 10 et 16 ans ;
- les shojo qui se destinent au public féminin de cette même tranche d’âge ;
- les seinen, réservés eux, à un public plus averti, voir adulte.
Particularité qu’il faut noter et qui nécessite un petit temps d’adaptation, les mangas se lisent dans le sens inverse de celui que l’on connait, c’est-à-dire de la droite vers la gauche.
- Pour finir, traversons l’Atlantique pour partir à la rencontre des comics américains.
Cette bande dessinée possède, elle aussi, ses spécificités et des codes qui lui sont propres. On remarque malgré tout qu’elle pénètre de manière moins forte le marché européen. Les histoires qu’elle propose sont moins universelles et plus ancrées dans l’imaginaire patriote des États-Unis. Cependant, vous trouverez chaque mois dans tous les kiosques des “comics books”, ces petits magazines au format souple qui mettent en scène toute une panoplie de super-héros. Ce principe de publication par épisodes est caractéristique du genre. La grande majorité de ces personnages est affiliée soit à la famille des Marvel, soit à celle des DC Comics. Tout le monde connait Batman, Superman, Hulk ou autre Captain America.
C’est également aux États-Unis qu’a vu naitre le format “strip humoristique”, notamment via la presse quotidienne. Les œuvres les plus connues sont certainement Calvin et Hobbes, Snoopy et le Peanutts ou encore Garfield. C’est une manière de raconter des histoires qui a depuis longtemps dépassée ces frontières et qui continue à influencer de nombreux auteurs aujourd’hui.
Les œuvres que l’on étudie généralement en classe sont quasiment toutes issues du courant franco-belge. La suite de notre dossier s’attardera à vous faire découvrir son fonctionnement, ses codes et ses spécificités. Les comics et les mangas font tout de même partie de la culture des jeunes lecteurs d’aujourd’hui et il est important de ne pas l’ignorer.