Michel Candelier : "Un éveil à la diversité linguistique"
Doit-on parler d’apprentissage précoce des langues en maternelle ou d’éveil à la diversité linguistique ?
Michel Candelier : Il faut éviter de mélanger les deux concepts ! Ma conviction est que la course à l’apprentissage le plus précoce possible d’une seule langue étrangère, telle qu’elle est préconisée par nos ministres successifs, est un non-sens. Le principe du “plus c’est tôt, mieux c’est” peut valoir pour les acquisitions en milieu “naturel”, mais l’école ne peut pas fournir au commun des élèves les conditions d’exposition et d’interaction qui s’en rapprocheraient. Ma préférence va donc très clairement à un éveil à la diversité linguistique qui favorise la curiosité, l’ouverture à la diversité non exclusive. Déjà pratiqué sous diverses formes dans bien des écoles, il constitue le coeur des innovations développées sous le nom d’“éveil aux langues” (language awareness) depuis trois décennies. Il contribue au développement d’une capacité à faire du langage un objet d’observation, bien utile, en particulier pour l’appropriation de l’écrit. Parmi ces langues, il y a bien sûr les langues autres que le français, que certains élèves parlent à la maison. On peut ainsi reconnaître de façon positive les aptitudes linguistiques de tous les élèves, et on tient là un moyen intéressant d’impliquer les parents, locuteurs de ces langues, dans la vie de l’école.
Les différentes évaluations montrent-elles des compétences différentes, à l’arrivée au collège, chez les enfants ayant pratiqué une langue de façon précoce ?
M.C : Dès le début de la généralisation de l’enseignement “précoce”, on a constaté que l’avantage procuré par l’enseignement d’une langue à l’école primaire disparaissait très rapidement à l’entrée du collège. Aujourd’hui encore, les apprentissages sont généralement limités à des énoncés figés, sans capacité d’adaptation à une variabilité de situations. Il faudrait les décloisonner, établir des liens entre langues… et entre niveaux scolaires. Pourtant, au début, les élèves sont enthousiastes. Mais comment maintenir leur intérêt jusqu’à la fin de la scolarité secondaire si la déception s’installe ?
Une formation défaillante des maîtres ne risque-t-elle pas de remettre en cause cet éveil aux langues ?
M.C : Qu’il s’agisse de l’apprentissage précoce d’une langue ou d’un éveil aux langues, la formation didactique est déterminante, et bien insuffisante aujourd’hui. Si l’aune du succès est la capacité de l’élève à produire réellement du langage, en dépassant la répétition de formules toutes faites, l’aisance de l’enseignant lui-même dans la langue joue aussi un rôle. Mais une aisance plus limitée n’empêche pas de...