Bernard Parzysz : Développer l’intuition spatiale
Quels sont les types de problèmes à l’origine de la géométrie ?
Bernard Parzysz : On attribue classiquement l’"invention" de la géométrie à l’Égypte pharaonique : après chaque crue annuelle du Nil, il était nécessaire de rétablir le bornage des champs cultivés tel qu’ils étaient avant la crue, ce qui impliquait à la fois une vision géométrique du terrain, des techniques de mesurage et des moyens de représentation, fussent-ils schématiques. Il s’agissait certes de géométrie "pratique", mais elle nécessitait une classification des formes (rectangle, triangle, trapèze, etc.) et l’établissement de formules (parfois exactes, parfois approchées) pour le calcul des longueurs et des aires. Plus généralement, beaucoup de corps de métiers parmi les plus anciens, notamment dans le bâtiment, nécessitent des connaissances géométriques et des techniques de représentation spatiale, même s’ils n’en ont pas toujours conscience. Pour me limiter à un exemple qui m’est cher, les créateurs des mosaïques romaines dites "géométriques" (qui sont les plus nombreuses) ont dû mettre au point des techniques leur permettant la réalisation et la reproduction de schémas décoratifs qui se sont transmis, à travers le temps et l’espace, dans tout le monde romain.
Est-ce que l’enseignement de la géométrie à l’école primaire contribue à la maîtrise du réel ou en est-il trop déconnecté ?
B. P. : L’enseignement de la géométrie à l’école élémentaire doit avoir pour finalité de faire découvrir aux élèves l’espace qui les entoure. Ou plutôt les espaces, car l’espace de la salle de classe, celui de la ville ou du village, voire celui de notre planète Terre ou du système solaire, celui de la feuille de papier ou de l’écran d’ordinateur ne sont pas identiques : on ne les perçoit pas de la même façon et on n’y a pas les mêmes moyens d’action. Il s’agit donc, selon moi, de développer l’intuition spatiale de l’élève dans les divers espaces et de lui donner des moyens d’action, de façon à le munir d’un bagage d’expériences vécues lui procurant une familiarité dans des situations variées, lui permettant aussi de s’y repérer et d’agir sur elles. Cet aspect est pris en compte dès l’école maternelle et se poursuit à l’école élémentaire. Mais la classe est un groupe, et c’est la nécessité de travailler avec d’autres, et donc de communiquer, qui va amener la nécessité de mettre en place un langage commun, comprenant également des représentations figurées et verbales, permettant les échanges. En revanche, je ne comprends pas bien la raison qui a fait que les programmes n’intègrent pas dans le chapitre "géométrie" le volet "grandeurs", pour ce qui est de celles qui sont géométriques ; le travail sur des grandeurs (rep...