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« Les enseignants demandent la possibilité de faire mieux avec chacun des enfants »

Pierre Périer
Pierre Périer
Sociologue et Professeur en Sciences de l’éducation à l’Université Rennes 2, Pierre Périer estime que les réponses des enseignants au questionnaire témoignent de la difficulté d’exercer le métier au quotidien et des doutes qui s’insinuent progressivement quant à l’avenir. « Tout se passe comme si les enseignants étaient dépossédés de leur métier au moment même où il est non seulement important mais nécessaire qu’ils disposent de plus d’autonomie et de moyens pour l’exercer, en prenant en compte la diversité des élèves et les exigences des apprentissages », ajoute-t-il.

Malgré les conditions de travail dégradées (plus de bureaucratie, nombre d'élèves, pression de la hiérarchie ministérielle, des parents...), 85% des enseignants disent qu'il s'agit d'une vocation et qu'ils font ce métier pour transmettre des savoirs. Comment expliquez-vous cet attrait pour ce métier en dépit de toutes les vicissitudes ?

Pierre Périer : Il faudrait s’entendre au préalable sur le sens que recouvre le terme de vocation. S’agit-il d’exprimer une passion enracinée très tôt dans son parcours scolaire et professionnel, de décrire la nécessité de se consacrer entièrement à ce métier pour bien l’exercer, ou encore d’ennoblir la fonction en lui conférant une valeur ou un supplément d’âme si précieux face à la rationalisation de l’activité et à l’emprise technologique ?

Quoi qu’il en soit, les enseignants manifestent un attachement fort à leur métier, sans doute parce qu’il reste pourvoyeur de sens et qu’il ne peut s’accomplir sans un investissement personnel intense, au risque parfois de l’épuisement. C’est tout l’enjeu des conditions de travail qui sont données pour, à la fois préserver ce sens vocationnel et rendre possible les apprentissages et la transmission des savoirs en impliquant tous les élèves.

Plus d'un tiers des enseignants estiment qu'ils n'exerceront pas ce métier toute leur vie, par manque d'énergie ou fatigue, ou lassitude... Que révèlent ces chiffres selon vous ? 

Ils témoignent d’abord de la difficulté d’exercer le métier au quotidien et, par conséquent, des doutes qui s’insinuent progressivement quant à l’avenir. Si la question de l’accès à la fonction et de son attractivité s’est imposée depuis quelques années comme un enjeu majeur, un autre défi porte sur la manière de durer dans le métier sans devoir renoncer à ce qui fait son intérêt et son utilité. Tout se passe comme si les enseignants étaient moins en mesure de se projeter dans un avenir professionnel, pavé d’incertitudes, quant à l’évolution de leurs missions, au type de compétences nécessaires ou au comportement des élèves. Ce sentiment peut être d’autant plus fort et préoccupant que l’engagement dans le métier a fait l’objet d’un choix déterminé et que les alternatives, une fois en poste dans l’enseignement, apparaissent relativement peu nombreuses.

Le principal frein à l'exercice du métier, ce sont les conditions de travail (49% des enseignants) devant le manque de reconnaissance de l'institution (33 % des réponses) et le salaire (pour 14% des enseignants). Selon vous, que cela signifie-t-il ?

Lorsque l’on évoque le ou les malaises enseignants, il est beaucoup question du salaire, revendication légitime si l’on en juge notamment par les comparaisons internationales peu favorables à la France. Toutefois, ce levier qui contribue à la reconnaissance des enseignants ne doit pas faire oublier l’enjeu des conditions de travail et le sentiment très répandu qu’elles ne cessent de se dégrader.

De nombreux facteurs contribuent à cette perception : multiplications des réformes et injonctions dont la pertinence ne manque pas d’être interrogée, déficit de soutien et de formation pour affronter les épreuves du métier, diversification et bureaucratisation des tâches, dotations en moyens insuffisantes… Au final, les enseignants peuvent avoir le sentiment de s’éloigner de ce qui fait le cœur du métier et de son ambition de formation, d’émancipation et de réussite des élèves.

Les enseignants estiment à 81% que le regard porté par la société sur leur métier est négatif. Quels sont les facteurs qui expliquent ce chiffre très important selon vous ?

Le métier d’enseignant souffre en effet d’une image dégradée dans la société, si l’on en juge par ce que les enseignants en disent. Pour autant, ce sentiment ne doit pas être confondu avec ce que les médias, les politiques ou l’opinion publique, à travers les familles notamment, peuvent exprimer. Pour ne prendre qu’un seul exemple, les enquêtes sur l’orientation professionnelle montrent que la profession enseignante reste bien placée dans le palmarès des métiers souhaités pour ses enfants.

Le déficit invoqué peut alors s’interpréter comme le symptôme du manque de reconnaissance vécu par les enseignants au regard de leur investissement dans un métier de plus en plus exigeant. Un manque adressé d’abord à l’institution, mais également aux parents, voire aux élèves qui ne prennent pas vraiment la mesure de ce qu’implique le métier, loin des caricatures sur le temps de travail, les vacances ou le statut de fonctionnaire.

Par ailleurs, ce regard négatif sur les enseignants ne fait pas la valeur du métier pour soi, c’est-à-dire pour celles et ceux qui l’exercent. De ce point de vue, c’est d’abord et surtout au travers de ce qu’ils vivent dans leur classe avec leurs élèves que les enseignants jugent de l’intérêt et de la valeur de leur profession(1). Le paradoxe du métier et de son image se joue dans cette tension entre le regard négatif d’autrui (société) et le rapport positif pour soi.

Si les enseignants devaient changer une chose, 30% d'entre eux répondent « l'institution, les réformes incessantes » et 26% la réduction des effectifs de classe. Comment analysez-vous ces réponses ?

Ce résultat montre la difficulté des enseignants à comprendre le sens des réformes dans lesquelles il leur est demandé de s’engager au regard de ce qu’ils perçoivent des priorités d’amélioration de leur métier. Réformes jugées d’autant moins justes et nécessaires, qu’elles se succèdent à un rythme accéléré, sans associer les enseignants, et qu’elles demeurent finalement impuissantes à peser sur les enjeux et conditions de l’activité en classe.

Tout se passe comme si les enseignants étaient en quelque sorte dépossédés de leur métier au moment même où il est non seulement important mais nécessaire qu’ils disposent de plus d’autonomie et de moyens pour l’exercer, en prenant en compte la diversité des élèves et les exigences des apprentissages. Pris dans cette configuration paradoxale, les enseignants demandent en premier lieu une réduction de la taille des classes, c’est à dire la possibilité de faire mieux avec chacun des élèves, et avec le souci de ceux qui en ont le plus besoin.

C’est d’ailleurs une attente qui croise celle des parents, ces derniers redoutant que la difficulté que pourrait rencontrer leur enfant, à un moment donné de sa scolarité, ne s’installe irrémédiablement. Non en incriminant le manque d’attention ou de compétence des enseignants mais en pointant des conditions qui ne leur permettent pas de les mettre pleinement au service de besoins de plus en plus individualisés.



(1)Cf. le dossier coordonné par P. Guibert, R. Malet et P. Périer (dir.), Les enseignants et la reconnaissance professionnelle, Education et sociétés, n° 48, 2022 et, en particulier, l’article de P. Périer : « Sentiment de reconnaissance et rapport au métier des enseignants du secondaire : approche typologique », p. 41-59.

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