Karima Haoudy : Une conception élargie du patrimoine
L’École Aujourd’hui : Qu’est-ce que le patrimoine ?
Karima Haoudy : Le patrimoine, c’est une série de traces de formes diverses qui peuvent chacune apporter du sens. C’est un édifice, c’est un complexe social, c’est un récit de travailleur, c’est une étoffe, c’est une gravure, c’est un registre, c’est une photographie, etc. Le patrimoine est pluriel. C’est la conjonction, le rassemblement de ces multiples traces qui permet au chercheur, à ce passeur de mémoire, d’appréhender, d’entrevoir une société. Ma formation en archéologie m’a incitée à adopter cette approche qui oscille entre histoire et mémoire, entre témoignage et trace, entre l’écrit et l’artefact.
Pourquoi une définition aussi large du patrimoine ?
K. H. : Il est important d’élargir cette notion de “patrimoine” dans sa forme, mais aussi dans son origine. Le patrimoine immédiat que nous avons à portée de main est, par exemple pour la période industrielle, le témoignage des classes sociales aisées, celles qui ont accès à l’écriture et aux outils d’expression. D’où la nécessité, d’aller fouiller dans les interstices du “patrimoine” pour aller à la rencontre de la parole, du témoignage de ceux qui ont été considérés comme des “travailleurs de l’ombre”, de ceux qui n’ont pas eu la possibilité de s’exprimer, de se livrer. Évidemment, ces traces et témoignages doivent être passés sous le crible de la critique historique pour en évaluer l’authenticité et prendre la nécessaire distance.
Que représente Bois-du-Luc dans ce patrimoine que vous définissez ?
K. H. : Je commencerai par vous citer Eduardo Galeano : “La mémoire vivante n’est pas née pour servir d’ancre. Elle a plutôt vocation à être une catapulte. Elle ne veut pas être havre d’arrivée, mais port de départ. Elle ne renie pas la nostalgie, mais elle lui préfère l’espoir, ses dangers, ses intempéries. Les Grecs pensaient que la mémoire était fille du temps et de la mer ; ils n’avaient pas tort.” Cette citation est particulièrement révélatrice de ce que représente pour moi Bois-du-Luc. Découvrir en surface ou en profondeur un site comme Bois-du-Luc vous donne l’occasion d’appréhender les conditions de vie des communautés laborieuses qui ont travaillé, habité, lutté, coalisé dans l’enceinte d’un village ouvrier, véritable microcosme qui a gardé l’empreinte des conséquences de la révolution industrielle sur les plans techniques, sociaux, paysagers, architecturaux et mémoriels. Bois-du-Luc a la capacité et l’énergie de nous interpeller sur nos sociétés actuelles et en devenir.
Comment ?
K. H. : Bois-du-Luc, et c’est sa grande force patrimoniale, a le pouvoir de prolonge...